Dossier juridique : L’usage du nom patronymique après cession de la marque viti-vinicole éponyme
Les noms des vins comportent souvent un nom patronymique, qui correspond le plus souvent au nom de l’actuel ou de l’ancien propriétaire de l’exploitation viticole. Au fil des générations ou des cessions des exploitations viti-vinicoles, un tel choix de dénomination peut être source de conflits.
1. Le nom patronymique est un droit de la personnalité. Tout porteur de celui-ci a le droit de l’utiliser dans sa vie professionnelle, de le déposer à titre de marque et ainsi de s’opposer à toute reproduction ou imitation de celui-ci, mais ce droit n’est pas absolu.
Ainsi, l’article 14 a) RMUE[1], comme le nouvel article L713-6 CPI[2], entré en vigueur le 15 décembre 2019, prévoient que le dépôt d’une marque ne permet pas à son titulaire d’interdire à un tiers l’usage dans la vie des affaires, notamment du nom de famille lorsque celui-ci est une personne physique, ou encore d’un nom commercial, d’une enseigne ou d’un nom de domaine, de portée locale, lorsque cet usage est antérieur à la date de la demande d’enregistrement de la marque et s’exerce dans les limites du territoire où ils sont reconnus, sous réserve que l’usage effectué par le tiers soit conforme aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. La notion de bonne foi a désormais disparu de ces nouvelles dispositions.
Dans le cas des marques de renommée, si le tiers a un motif légitime d’utiliser la marque de renommée antérieure, son usage sera licite (articles 9 RMUE, L713-5 CPI).
Dans le secteur viti-vinicole, ces limitations s’appliquent et conduiront, la plupart du temps, à une coexistence en cas d’homonymie patronymique.
2. Lorsque deux personnes, issues d’un ancêtre commun, exploitent chacune une exploitation viticole sous leur nom, l’usage ou le dépôt d’une seconde marque est alors autorisé, à condition qu’il n’y ait pas de risque de confusion avec la première marque. Pour ce faire, l’ajout d’un élément, tel que le prénom, est souvent considéré comme suffisant.
A titre d’exemple, dans un conflit entre deux sociétés productrices de champagne utilisant le même nom de famille hérité d’un ancêtre commun : la société Royer Jean-Jacques, avec la marque « Jean-Jacques et Sébastien Royer » (déposée en 2002), et la société Champagne Royer père et fils, avec les marques « Royer & Cie » et « Royer » déposées en 2010 et 2011, « Royer père et fils » déposée en 2005 et utilisée depuis 1969 comme dénomination sociale et nom commercial antérieurs, ainsi que des noms de domaine tous composés du nom Royer, il a été jugé que la marque « Jean-Jacques et Sébastien Royer » de 2002 avait été déposée de bonne foi puisqu’elle contient des prénoms. En revanche, tel ne fut pas le cas pour les marques « Royer & Cie » et « Royer » de 2010 et 2011, jugées susceptibles d’être confondues avec la marque de 2002 et frauduleuses, au motif que l’antériorité de « Jean-Jacques et Sébastien Royer » et le risque de confusion dans l’esprit du consommateur ne pouvaient être ignorés par Champagne Royer père et fils, qui « ont délibérément choisi d’omettre tout élément permettant de distinguer leurs marques de celle de Royer Jean-Jacques »[3].
3. Un conflit peut également survenir en cas de cession de la marque constituée d’un patronyme et attachée à la société d’exploitation, titulaire de cette dernière. Il sera alors difficile pour le porteur légitime d’utiliser son nom en dehors de cette société. En effet, le patronyme se détache de son porteur dans la vie des affaires et la question de son usage par le cédant doit être réglée de manière exhaustive par le contrat de cession pour éviter tout conflit.
Ainsi, Inès de la Fressange, suite à son licenciement par la société à qui elle avait cédé sa marque patronymique, a tenté de faire annuler cette même marque pour déceptivité, au motif que le consommateur penserait acheter un vêtement de la créatrice et serait alors trompé. Si la Cour d’appel de Paris avait fait droit à sa demande, la Cour de cassation a finalement cassé l’arrêt des juges du fond, au motif que l’annulation de la marque constituerait un manquement de la créatrice à son obligation de garantie de jouissance paisible des droits cédés à l’acquéreur[4].
En revanche, la société Taittinger n’a pas pu s’opposer à l’usage de son nom de famille par Virginie Taittinger afin de promouvoir sa marque « Virginie T. » pour du champagne, postérieurement à la cession de ses parts et à son départ de la société. En l’espèce, les références effectuées étaient relatives à son origine familiale, son parcours professionnel ou son expérience passée au sein du groupe Taittinger. Un tel usage a été considéré comme légitime et constituant notamment un juste motif[5].
Récemment, la Cour de Cassation a considéré sur le fondement de la concurrence déloyale, que tant les membres de la famille porteurs du patronyme, que l’acquéreur du fonds au nom et marque éponyme, sont en droit de se prévaloir à des fins commerciales de cette histoire familiale ayant forgée le fonds, sous réserve de ne pas créer de confusion entre leurs activités[6]. Ce sont donc les conditions de l’exploitation de cette histoire qui déterminent leur caractère licite ou non.
Dès lors que le patronyme est utilisé dans la vie des affaires et devient un actif de l’entreprise, son usage sera alors soumis aux limitations inhérentes au respect des droits des tiers. Une attention particulière devra donc être portée aux modalités de son usage, ainsi qu’aux clauses les régissant, notamment en cas de cession du fonds de commerce et/ou de la marque éponymes, afin de prévenir toute difficulté.
[1] Règlement 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne
[2] Code de la propriété intellectuelle
[3] Cour de Cassation, 16 octobre 2019, no. 17-20940 & Cour d’Appel de Douai, 16 mars 2017
[4] Com. 31 janvier 2006, n°05-10116, Ines de la Fressange
[5] Com. 21 juin 2022, n°20-19.025, Taittinger c/ Virginie Taittinger
[6] Com. 13 octobre 2021, n°19-20.504, Wolfberger C/ consorts Albrecht
Cet article a été publié dans la RVI N°3970 de juin 2024.