Home»Distribution»Bordeaux en crise doit-il se réinventer ?

Bordeaux en crise doit-il se réinventer ?

0
Shares
Pinterest Google+

La campagne des Primeurs démarre … Le vignoble bordelais, s’étendant du Médoc à Saint-Emilion en passant par les Graves, Sauternes et Barsac, l’Entre-Deux-Mers … est confronté à une crise profonde marquée par une baisse significative de la consommation et des défis internationaux majeurs. Cette situation affecte tant les grands crus que les vins « de table » destinés à la grande distribution, avec des répercussions notables sur les tendances en grande distribution, en restauration et à l’exportation.

Crise de consommation et défis internationaux

Depuis les années 1970, la consommation de vin en France a chuté de manière drastique, passant de 160 litres par personne et par an à environ 40 litres en 2023. Cette diminution est particulièrement marquée chez les jeunes générations, notamment la génération Z, qui privilégie d’autres boissons telles que la bière, les spiritueux ou les boissons sans alcool.  Cette évolution des habitudes de consommation a conduit à une surproduction, notamment dans les régions productrices de vins rouges comme Bordeaux, entraînant une baisse des prix et une fragilisation économique des exploitations viticoles.

Parallèlement, les exportations de vins de Bordeaux ont souffert de la concurrence accrue des vins du Nouveau Monde : Chili, Australie, Afrique du Sud … et des fluctuations économiques mondiales. La pandémie de Covid-19 a exacerbé ces difficultés, réduisant la demande internationale et perturbant les circuits de distribution.

Tendances en grande distribution, restauration et à l’export

Face à cette situation, la grande distribution a adapté son offre en privilégiant des vins plus accessibles en termes de prix et de goût, répondant aux attentes d’une clientèle à la recherche de produits moins complexes et plus fruités. Les vins rosés et blancs, perçus comme plus légers, connaissent une popularité croissante, au détriment des vins rouges traditionnels de Bordeaux.

En restauration, une tendance similaire se dessine avec une offre diversifiée incluant des vins naturels, biologiques et des vins issus de cépages oubliés. Les bars à vins mixtes, combinant cave et espace de dégustation, se multiplient, offrant aux consommateurs une expérience conviviale et éducative autour du vin.

A l’export, certains marchés résistent mieux que d’autres. Les Etats-Unis, malgré des périodes de taxation accrue (lire page 30), restent un débouché important pour les vins français. Cependant, la demande chinoise a ralenti, impactant les volumes exportés. Les marchés européens, notamment le Royaume-Uni et l’Allemagne, continuent de montrer un intérêt pour les vins de Bordeaux, bien que la concurrence y soit également forte.

Nécessité de changer de stratégies et de modes de communication

Pour faire face à ces défis, une réorientation stratégique est indispensable. Les producteurs bordelais sont encouragés à diversifier leur offre en intégrant des vins blancs, des vins à faible teneur en alcool ou des vins issus de l’agriculture biologique, répondant ainsi aux nouvelles attentes des consommateurs. Cette diversification nécessite des investissements en replantation de cépages adaptés et en modernisation des techniques de vinification. Même Château Margaux ou Climens lancent une gamme de vins blancs secs pour répondre à la demande. Château Doyac, a planté du Pinot noir et élève ses premières cuvées …

La communication doit également évoluer pour toucher une clientèle plus jeune et connectée. L’utilisation des réseaux sociaux, la création d’événements oenotouristiques et la collaboration avec des influenceurs peuvent renforcer l’image des vins de Bordeaux auprès des nouvelles générations. Mettre en avant des valeurs telles que la durabilité, l’authenticité et l’innovation peut contribuer à revitaliser l’intérêt pour ces vins.

En Primeurs

Les ventes en primeurs constituent une spécificité du vignoble bordelais, permettant aux acheteurs d’acquérir des vins avant leur mise en bouteille et leur commercialisation officielle. Ce système offre aux producteurs une avance de trésorerie essentielle pour financer l’élevage des vins et préparer les récoltes futures. Chaque printemps, Bordeaux accueille la semaine des dégustations en primeur, un événement majeur où 5 à 6000 professionnels du monde entier se réunissent pour évaluer le dernier millésime. Ces dégustations attirent les négociants, sommeliers, journalistes et les critiques influents, notamment de pays tels que les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Chine et le Japon. La participation internationale souligne l’importance de cet événement dans le calendrier viticole mondial.

Parmi les critiques les plus influents dans le domaine des primeurs, plusieurs se distinguent par leur expertise et leur impact sur le marché. William Kelley, qui a rejoint le Wine Advocate en 2021, est reconnu pour ses analyses approfondies des millésimes bordelais. Antonio Galloni, fondateur de Vinous, est également une figure incontournable, ayant précédemment travaillé pour le Wine Advocate. D’autres critiques notables incluent Lisa Perrotti-Brown et James Suckling, dont les évaluations sont suivies de près par les professionnels et les amateurs de vin. En France, les notes de la RVI (Vladimir Kauffmann) sont reprises par les Châteaux et les négociants, notamment Duclot …

Les tendances récentes des primeurs reflètent les défis auxquels est confronté le vignoble bordelais. Les conditions climatiques défavorables, telles que le mildiou et les périodes fraîches, ont affecté la qualité de certaines récoltes, suscitant des inquiétudes quant à la pérennité du système des primeurs. De plus, une baisse de la demande, notamment de la part des acheteurs traditionnels aux Etats-Unis et en Chine, a conduit à une diminution des prix (-30 à 40% en 2024) et à un enthousiasme des acheteurs à la baisse.

Malgré ces défis, certains châteaux continuent de se distinguer lors des dégustations en primeur. Le millésime 2022, par exemple, a été salué comme exceptionnel, avec plusieurs vins obtenant des notes proches de la perfection. Le Figaro Vin a ainsi classé 100 vins parmi les meilleurs, reflétant la capacité de Bordeaux à produire des crus d’excellence même en période de turbulences.

Les ventes en primeur demeurent un pilier du marché bordelais, offrant aux professionnels une opportunité unique d’accéder aux vins avant leur mise sur le marché. Cependant, les défis actuels nécessitent une adaptation et une réflexion sur l’évolution de ce système pour assurer sa pérennité et son attractivité.

Montée des clubs privés de vin

Une tendance notable est l’essor des clubs privés de vin, notamment aux Etats-Unis, en France et en Italie. Ces clubs offrent à leurs membres des expériences exclusives, des dégustations privées et un accès privilégié à des cuvées spéciales. Des maisons prestigieuses comme Pernod Ricard, Dom Pérignon avec leur programme VIC « Very Important clients », Bollinger ou encore Castiglion del Bosco de la famille Ferragamo ont développé leurs propres clubs. « The Wine Club » regroupe plus de 300 chefs d’entreprises et collectionneurs de vin et organise des évènements sur mesure dans dix pays et dans les vignobles … renforçant ainsi la fidélisation de leur clientèle et créant un sentiment d’appartenance à une communauté élitiste. Cette approche permet de valoriser le produit et de créer une relation directe avec le consommateur, contournant les circuits de distribution traditionnels.

Le vignoble bordelais doit s’adapter aux mutations du marché en diversifiant son offre, en modernisant sa communication et en explorant de nouveaux modes de distribution tels que le e-commerce ou les clubs privés. Ces adaptations sont essentielles pour surmonter la crise actuelle et assurer la pérennité de nos patrimoines viticoles.

* www.TheWineClub.fr

Previous post

Les vins d'Alsace à l'exposition universelle d'Osaka

Next post

Hong Kong : un marché stratégique pour la filière française des Vins et Spiritueux