Alsace : le Pinot noir, un avenir sans fard !
Longtemps mis de côté, au profit de vins blancs parfois trop sucrés, il revient sur le devant de la scène grâce à la force de travail de vignerons passionnés, privilégiant la mise en avant du terroir et le travail des sols.
Nous sommes à la fin du mois d’août, la pluie vient de s’abattre sur la plaine alsacienne. Un ouf de soulagement pour l’ensemble des vignerons qui commençaient à grincer des dents. Pendant plusieurs semaines, la vigne exsangue, était à l’affût de la moindre goutte d’eau. Un stress hydrique inquiétant. A la mi-août, elle fait son apparition, Les vignerons sont comblés, ils peuvent à nouveau respirer et préparer sereinement les vendanges à venir : « Elle nous a clairement sauvée le millésime ! » s’exclame Christian Beyer, propriétaire avec sa femme Valérie du domaine Emile Beyer au cœur d’Eguisheim. Avec son épouse, ils incarnent une génération d’artisans qui souhaitent faire bouger les lignes, au sein d’une région viticole longtemps restée sur la gloire de ses blancs. Riesling, Gewurztraminer, vendanges tardives, le foie gras qui ouvre les agapes de fin d’années, cette image clichée, est en passe d’être révolue. « L’Alsace aussi bien que la Bourgogne est une terre de rouges » affirme Adrien Schoenheitz qui produit des vins remarquables sur des sols granitiques du Saint-Grégoire. Ce féru d’histoire, a fait ses armes dans la vallée du Rhône (Vieux Télégraphe) et avec le visionnaire Alain Brumont du côté de Madiran (Château Montus). En 2014, il rejoint le domaine familial pour développer aux côtés de ses parents un cépage auquel il croit. A l’image d’Adrien, l’ensemble de la région, se doit de jouer un rôle majeur dans la mise en avant de ses pinots. L’INAO, devrait valider l’année prochaine l’appellation grand cru (rouges) pour les terroirs suivants : Hengst, Vorbourg, Kirchberg. Une attente insoutenable pour des vignerons qui vinifient ce cépage avec dextérité depuis de nombreuses années. Cette officialisation, permettrait à l’ensemble d’une profession de vendre leurs vins rouges à la hauteur de leur valeur. D’autant plus, qu’il y a une réelle demande, à l’export de la part entre autres des Etats-Unis. « La clientèle américaine est sans cesse en recherche de vins identitaires, elle aime assouvir sa curiosité » s’enthousiasme Marie Zusslin, vigneronne avec son frère sur la colline du Bollenberg. En Juillet dernier, elle était invitée par le IPNC (International Pinot Noir Celebration) un festival qui rend hommage au fameux cépage. On constate un fort intérêt pour l’export sur l’ensemble de la région. Même si la culture de l’accueil au caveau fait toujours des adeptes, valoriser ses vins loin de nos frontières est devenu aujourd’hui primordial si le vigneron souhaite pérenniser son exploitation.
Plusieurs éléments de réponses, avec pour commencer la technique de macération. En fonction de son terroir, de l’inclinaison de ses sols, et de la philosophie qu’il souhaite insuffler, le vigneron fait des choix. Sébastien Mann, incarne cette génération de paysans ovnis à qui tout réussi. Situé au cœur d’Eguisheim, son vignoble sorti de la coopérative en 1998 par ses parents (Jean-Louis et Fabienne) produit des vins rouges denses, frais sur des terroirs granitiques. Alors que la majorité des vignerons, font le choix de faire macérer les raisins entre une à deux semaines, Sébastien pousse le cycle à 7 semaines ! Résultat ? Les vins sont d’une rare finesse, sans austérité. Pour Jacky Barthelmé, figure de proue des pinots noir racés tout en élégance « C’est une pure folie d’agir ainsi. Cette technique, demande une maîtrise totale pour ne pas aller dans la dureté des tannins. Trop souvent, les longues macérations (au-delà d’un mois) ne permettront pas aux vins de se garder dans le temps » conclut l’homme qui compte transmettre prochainement le domaine à son fils Antoine. Autre point crucial, qui a permis de rehausser la qualité des rouges en Alsace : la température des raisins au moment de la récolte.
Parmi les ardents défenseurs des terroirs propices à l’épanouissement du cépage rouge figurent Marcel Deiss. Depuis 1978, l’attachant vigneron de Bergheim -Haut-Rhin- contribue, notamment avec ses complantations -l’art de mélanger les cépages sur un même terroir-, à changer les mentalités dans une Alsace qui a longtemps privilégié le productivisme. Aujourd’hui, c’est son fils Mathieu, l’œil qui pétille, qui poursuit le travail de son père avec brio. Il se souvient que la température des baies faisait déjà débat à la fin des années 80. « Mon père confiait à des journalistes, qu’une année, il avait fait rentrer les pinots noirs du Burlenberg (la colline brûlée) à 13°5 sans chaptalisation – action d’ajouter du sucre au moût de raisin avant qu’il fermente » Une aberration pour ses collègues vignerons qui récoltaient les raisins à des degrés bien supérieur. Le fils poursuit, « Si tu goûtes, des vieux Burlenberg, des vieux Clos Saint-Landelin, tu retrouves une puissance et une rugosité ». En effet, en voulant copier le modèle bourguignon, nombreux étaient ceux qui poussaient l’extraction pour aller cherche des tannins et la puissance. Si on prend l’Alsace dans sa globalité, de nombreux efforts ont été fournis, Aujourd’hui, les raisins sont cueillis de plus en plus à maturité. A l’image des Riesling Sec, que de nombreux acteurs essayent de travailler avec conviction, le pinot noir s’inscrit dans la même veine avec de nombreux jeunes qui tendent vers des rouges digestes et plus élégants. Denis Hebinger, (domaine eponyme) et Mathieu Deiss incarnent cette génération. Il y a 5 ans, à la suite d’un Salon organisé à Vérone, ils décident de fonder le « Groupe des jeunes vignerons d’Alsace ». Lors d’une assemblée, réunissant de nombreux vignerons, à la question « Qu’est-ce qui définit aujourd’hui l’Alsace viticole en deux mots ? » l’ensemble de l’assemblée a répondu d’un seul homme : « Pinot Noir et Biodiversité » ! Une réponse pleine d’enthousiasme qui redonne de l’allant à ce cépage. De Molsheim, en passant par Nothalten ou encore Saint-Hippolyte nous pouvons citer ces jeunes qui croient au pinot noir Paul Rieflé, Mathieu Kuenh, Marie Huttard. Ils sont tous en bio ou tendent vers la biodynamie mais n’en font pas la promotion, ils produisent des vins rouges tendres, digestes frais avec un élevage toujours sur la retenue. Le souffre ajouté avant la mise en bouteille, est toujours prescrit à dose homéopathique. Arthur Bohn (domaine Bohn) est clair « Les vins que nous produisons, correspondent à ce que nous buvons. « Notre palais s’est taillé avec le temps avec des vins d’artisans avec des tannins tendres. Nous souhaitons poursuivre ce que nos parents ont accomplit en allant plus loin dans le travail des sols et la biodiversité. » Arrêtons-nous sur le groupe jeune. En plus de militer pour l’épanouissement du pinot noir, ils ont développé (sous l’impulsion de Mathieu Deiss et Denis Hébinger) une carte des lieux dits Alsacien. Elle ouvre le débat sur les premiers crus. « Le but est de redonner une identité locale aux vins d’Alsace et raconter une histoire du lieu où ils sont produits ».
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L’Alsace est en plein renouveau et porte le pinot noir comme étendard. Même si certains vignerons n’ont pas attendu l’INAO pour mettre en avant leurs terroirs, et faire bouger les lignes. On attend avec impatience le verdict du célèbre institut qui pourrait, dès l’année prochaine, consacrer le Hengst, le Vorbourg au rang de grands crus pour les pinots noirs alsaciens. Le cépage oublié pourrait alors retrouver une place parmi les plus grands vins de la région …
Lire l’article en entier dans la RVI N°3959 de septembre 2021 – Réservé aux abonnés.