IG européennes : un parcours semé d’embûches aux États-Unis
Les divergences fondamentales entre l’Union européenne et les États-Unis en matière d’indications géographiques (IG) et d’appellations d’origine (AO) sont au cœur des débats internationaux relatifs à la propriété intellectuelle et à la régulation du commerce. Tandis que l’UE promeut un système rigoureux de reconnaissance et de protection des IG fondé sur le lien entre un produit et son terroir et de ce fait accessible à toute entreprise localisée dans la zone géographique spécifiée qui respecte le cahier des charges, les États-Unis privilégient une approche fondée sur les marques, détenues par une entreprise particulière, s’opposant ainsi à la reconnaissance automatique des IG étrangères.
L’Accord ADPIC du 15 avril 1994, principal instrument multilatéral conclu dans le cadre de l’OMC, reflète ces tensions. S’il offre une définition large des IG, une protection contre les usages trompeurs et déloyaux (art. 22) et une protection additionnelle aux vins et spiritueux (art. 23), cette dernière est limitée aux produits de même nature et souffre d’exceptions notables, telles que la sauvegarde des marques antérieures ou la reconnaissance des termes génériques. À la fois compatible avec le système des IG européennes et celui des marques, il n’offre, du point de vue de l’UE, qu’une faible protection pour les productions traditionnelles vis-à-vis des usurpations de noms et de réputation sur les marchés tiers.
Face à la difficulté de trouver un accord satisfaisant sur la protection renforcée des IG à l’OMC, l’UE s’est tournée vers la négociation d’accords bilatéraux afin de garantir une reconnaissance et une protection de ses IG sur les marchés extracommunautaires, notamment sur le marché américain.
C’est ainsi que dans la foulée de l’accord sous forme d’échanges de lettres du 18 novembre 2005, la Commission Européenne et les Etats-Unis ont conclu le 10 mars 2006 un accord sur le commerce du vin, qui constitue une étape majeure dans leurs échanges commerciaux : il entérine la reconnaissance mutuelle de certaines dénominations viticoles, tout en actant l’abandon progressif des « semi-génériques » américains. Les Etats-Unis s’étaient ainsi engagés à limiter l’utilisation de 17 appellations considérées comme « semi-génériques » aux seuls vins originaires de l’UE (dont 8 françaises : « burgundy », Chablis, Champagne, Claret, Haut-Sauternes, Moselle et Sauternes). Cependant, cette interdiction d’utilisation de ces appellations ne vaut que pour l’avenir. Résultat : les exploitants américains qui utilisaient de longue date ces appellations peuvent continuer à le faire.
De surcroît, l’abandon à terme de l’usage de ces termes ne s’est jamais produit et la poursuite prévue des négociations dans le secteur viticole n’a pas davantage abouti à la conclusion de nouveaux accords.
En effet, les États-Unis demeurent hostiles à un système d’IG sui generis et considèrent que la protection des IG ne peut s’effectuer que via un enregistrement à titre de marque, en tant que marque de commerce, marque de certification ou marque collective. La marque de certification serait la plus adaptée en ce qu’elle permet à tous les producteurs d’une région satisfaisant aux normes de certification mentionnées dans le dépôt de l’utiliser.
Néanmoins, une IG non enregistrée à titre de marque ne sera pas protégée, ni prise en considération aux Etats-Unis.
Toutefois, une évolution semble se dessiner avec la décision du Trademark Trial and Appeal Board (TTAB) de l’Office américain des brevets et des marques (USPTO) du 28 juillet 2025, intervenue sur renvoi du Federal Circuit, relative à la marque semi-figurative Cologne & Cognac Entertainment déposée par le chanteur Travis Edwin Davis, dit Trav Torch en classes 9 et 41, pour différents supports d’enregistrement et des services de production musicale. Précédemment, cette dernière avaits été acceptée à l’enregistrement. Appréciant la renommée de COGNAC, le TTAB avait rejeté l’argument du déposant selon lequel la marque de certification n’aurait, par nature, pas vocation à être rattachée à une entreprise en particulier et ferait obstacle à l’acquisition d’une renommée. Il avait tout de même envisagé la possibilité que le succès commercial des produits soit davantage susceptible d’entraîner la renommée de la marque de l’entreprise en cause, que de celle de la marque de certification. Le TTAB est revenu sur sa décision antérieure et refusé à l’enregistrement la marque Cologne & Cognac Entertainment. En effet, le TTAB a reconnu la haute renommée de la marque de certification géographique COGNAC, perçue comme indiquant que le brandy provient de la région française de Cognac et est produit conformément aux normes prescrites. Le TTAB a également reconnu l’existence d’un risque de confusion entre les signes mais également du fait des produits et services désignés, les consommateurs étant susceptibles de croire que cet usage de COGNAC avait été autorisé par le BNIC.
Ce faisant, le TTAB a donné plein effet à la marque de certification géographique Cognac du BNIC et cette décision constitue une avancée notable de la protection des IG aux États-Unis même si elle s’effectue toujours par l’intermédiaire du droit des marques. Il est regrettable que ce pas vers une protection accrue des IG européennes aux Etats-Unis ait été suivi de la fixation à 15% des droits de douane touchant désormais les vins et spiritueux européens sur le marché américain et entravant les échanges commerciaux par un autre biais.
Cet article a été publié le 21 novembre 2025.


