Patrick Ricard : un grand patron discret.
C’est un Ricard, un vrai qui s’en va rejoindre son père Paul inhumé sur les terres familiales dans l’ile de Bendor, aux Embiez, près de Toulon. Patrick Ricard, 67 ans, avait su s’imposer avec gentillesse, simplicité et diplomatie dans l’entreprise éponyme, et avait hissé en 30 ans la PME devenue groupe du 7éme au 2éme rang mondial des entreprises de spiritueux. Il rentre dans la société en 1967 comme simple livreur, sans diplôme et sans jouer les fils à papa.
C’est d’ailleurs son frère aîné Bernard qui est d’abord pressenti pour succéder à son père. Mais suite à une brouille familiale, Patrick reprend finalement les rênes de l’entreprise en 1978, trois ans après que Ricard à fusionné avec son principal concurrent Pernod. Discret et timide, il sait s’entourer de fins stratèges : Thierry Jacquillat qui négociera l’intégration de marques comme Havana Club, Wyborowa et Jameson et le désengagement de produits hors spiritueux tels Orangina et la Société des Vins de France, et Pierre Pringuet, arrivé en 2000, qui intègre des marques iconiques comme Mumm, Martell, Chivas dans le cadre du démantèlement des géants Seagram puis Allied Domecq, et négocie le rachat d’Absolut.
C’est lui qui reprend les rênes du groupe quand en 2008, Patrick Ricard lui confie l’opérationnel et prend du recul, restant président du comité d’administration. Le timide patron, pourtant peu à l’aise avec les mondanités, sait montrer son envergure au fil des années, discutant avec les grands patrons comme avec les salariés du groupe, mais affrontant toujours avec appréhension les journalistes, craignant que son franc-parler ne lui joue de mauvais tours.
Sous son impulsion, le groupe a élargi son champ d’actions dans les spiritueux et pris une dimension internationale, jouant depuis quelques années la carte de la premiumisation. Il avait failli manquer le rendez-vous du champagne que les équipes commerciales du puissant réseau de distibution réclamait depuis longtemps, suite à l’expérience peu concluante de Besserat de Belfont au débat des années 1990.
L’arrivée des pépites comme Mumm et Perrier Jouët dans les bagages d’Alied Domecq l’avait réconcilié avec les bulles indispensables au portefeuille d’un groupe mondial.
Mais à l’apéritif, il prenait toujours un Ricard, pas pour la galerie ou par narcissisme, juste par amour du produit et quelque soit l’endroit, au sortir d’un CA, du concours annuel de pétanque de la société, à Marseille, ou dans un palace parisien. Son plus grand regret est de ne pas avoir pu faire du petit jaune un grand produit d’exportation mais le Ricard reste dans les 14 marques prioritaires du groupe aux côtés des icônes du whisky, du cognac, du gin et de la vodka.
Quand on lui parlait vin, il réaffirmait haut et fort qu’il n’en était pas question pour le groupe, hormis des marques d’envergure internationale comme Jacob’s Creek, que c’était un autre métier et un investissement impossible en France. On lui doit également un engagement fort dans le mécénat sportif puis de l’art contemporain; il ne manquait, avec sa femme Corinne, aucune inauguration des expositions auxquelles le groupe accordait son soutien au musée Branly ou à Beaubourg – il était encore à celle de Matisse en juin dernier, serrant infatigablement des mains toute la soirée.
L’entreprise qui fête cette année ses 80 ans est orpheline mais pas sans héritier. Patrick Ricard avait toujours exprimé le souhait de voir un Ricard à la tête de l’entreprise. Le polytechnicien Pierre Pringuet, le seul dirigeant en dehors de la famille, devrait reprendre le poste de PDG jusqu’à sa retraite annoncée en 2015, sans doute pour passer le relais à Alexandre Ricard, 40 ans, fils de Bernard, qui avait déjà accédé l’an dernier au poste de DG adjoint en charge des réseaux de distribution après avoir tourné dans différentes filiales à l’étranger. Danièle Ricard, sœur de Patrick, déjà au CA, pourrait prendre la présidence du conseil, sans oublier César Giron, fils de Danièle, promu PDG de Pernod en 2009 après avoir dirigé Wyborowa. La famille est toujours propriétaire de 14% du capital et la relève semble avoir été préparée malgré la disparition brutale de son patriarche.
RVI – aout 2012